Á la maternité « Les Collines de Selembao », on pratique des accouchements dont les coûts défient toute concurrence. Le 24 décembre dernier, cinq mamans et leurs bébés ont malgré tout passé le réveillon à la maternité faute de moyen. Une situation que de nombreux foyers congolais vivent depuis plusieurs années.
Il est trois heures de l’après-midi, les avenues et les artères principales de Kinshasa fourmillent de monde. La capitale congolaise se prépare timidement aux réjouissances de fin d’année après les tumultes autour de la date du 19 décembre 2016 qui marquait la fin du second mandat de l’actuel président. Sur la route qui va du centre-ville vers l’Université Pédagogique de Kinshasa (UPN), tout le monde se presse pour faire ses derniers achats. Casiers de limonades, viandes, légumes, les véhicules sont chargés de toute sorte de denrées qui vont égayer le réveillon de Noël. Arrivé à la station de bus de l’UPN, quelques kilomètres avant la commune de Selembao, l’embouteillage bat son plein. Entre un corbillard et un camion de la BRALIMA remplit de manière spectaculaire, des véhicules essayent de se frayer un chemin. Arrivé au marché de Badiadingi, la route se désengorge et la circulation redevient normale.
C’est entre cette cacophonie et le calme des collines qui surplombent Kinshasa, que Cécile Edungu a décidé de construire la maternité « Les Collines de Selembao ». «J’avais besoin d’aller en dehors du tumulte du centre-ville, mais surtout, je voulais aller vers les plus démunis, les oubliés de la capitale congolaise », confie-t-elle. Cécile Edungu est infirmière de formation, elle vit en Belgique. C’est en 2011 qu’elle initie son projet dans la commune de Mont Ngafula. Chemin faisant, en 2015, elle déplace le projet à Selembao où elle loue une petite maison et y installe la maternité. En 2015, elle achète la parcelle où se situe l’actuelle maternité inaugurée en avril 2015. Depuis sa création, la maternité a vu naître deux cents bébés. Un chiffre dont l’initiatrice du projet est assez fière.
Nous sommes contentes de venir accoucher ici parce que nous sommes bien prises en charge et le personnel soignant est accueillant. Ce qui nous manque c’est l’argent pour payer nos factures. Nos maris n’ont pas de travail.
Un accouchement à faible coût
« Cette semaine, nous avons eu cinq accouchements », explique le docteur Tony MAKIADI. « Toutes les mamans qui sont là ont accouché entre le 22 et le 24 décembre ». A la veille de Noël, cinq maman sont couchées sur leurs lits. Certaines allaitent, d’autres discutent et d’autres observent scrupuleusement leurs bébés. « Ici nous pratiquons des accouchements à un prix défiant toute concurrence », scande le médecin. Dans les autres maternités, un accouchement normal se fait à 35 dollars. Dans cette maternité au faible coût, la majorité des dames n’ont pas vraiment le cœur à la fête en cette veille de Noël. « Nous sommes contentes de venir accoucher ici parce que nous sommes bien prises en charge et le personnel soignant est accueillant. Ce qui nous manque c’est l’argent pour payer nos factures. Nos maris n’ont pas de travail », confie l’une des mamans. « J’ai accouché le 22 décembre et je suis encore là parce que je n’ai pas de quoi payer la maternité », explique l’une des plus jeunes mamans dans la salle.
Pour cette jeune femme qui en est à son deuxième enfant, Noël ne veut plus rien dire. « Comment voulez-vous que je pense à fêter alors que je suis assise sur ce lit, tenant mon nourrisson en main et ne sachant pas si j’aurais ne fut ce que du sucre pour boire du thé et enclencher la montée de lait ». Bijou a eu quatre enfants et celui qu’elle tient en main est son seul enfant vivant, ajoute le docteur Tony MAKIADI. « Elle est venue ici pour accoucher. Tous ses accouchements se sont relativement bien passés mais les enfants sont morts quelques mois après la naissance. Ils étaient anémiés. Nous espérons que celui-ci va vivre ».
« Souvent dans une famille nous pouvons accoucher au courant de la même semaine, une maman et sa fille », confie le docteur Tony d’un air décontenancé.

Pour ce médecin, qui travaille aux côtés de Cécile Edungu depuis le début du projet, il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de la sensibilisation dans la commune de Selembao. « Selembao compte douze quartiers, le quartier de Mbala où nous nous trouvons en fait partie et c’est l’un des plus grands. Dès notre arrivée ici, nous avons constaté un fort taux de chômage. Le type de profession que l’on retrouve ici ce sont les militaires, les policiers, les agents de sécurité, les maçons, plombiers et bien sur les conducteurs de taxi moto. Le revenu moyen par habitant oscille entre 20 à 30.000 francs congolais (20 à 30 euros) ». Il est difficile, poursuit-il, de convaincre les femmes d’adhérer au programme de planification familiale. On compte plusieurs enfants par ménage et les femmes ne veulent pas entendre parler de la contraception alors que nous avons des dispositifs gratuits qui ne demandent qu’à être utilisés. « Certaines nous ont confiés qu’on leur a dit que la contraception avait un impact sur la fertilité, d’autres nous disent que tout ce que nous proposons est cancérigène. Il nous est donc difficile de proposer quoique ce soit malgré la gratuité du dispositif ».
A ceci s’ajoute le fait que les produits importés sont moins chers que produits du terroir. Une situation qui ne manque pas d’impacter la santé des habitants de Selembao.

La sous-alimentation : un facteur alarmant
Ici tout est à faire, s’exclame Violette BATEKELA en charge des questions administratives à la maternité. Il arrive que des femmes viennent accoucher sans avoir mangé. Nous avons des forts taux d’anémie dans ce quartier, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous nous battons pour avoir une banque de sang, cela nous aiderait à résoudre pas mal de soucis en matière de transfusion sanguine. « L’une des dames qui est dans la salle a eu du mal à pousser au moment de son accouchement. Elle tremblait de tous ses membres », explique le docteur Tony. « J’ai eu très peur tellement elle tremblait. Quand je lui ai demandé si elle avait mangé avant de venir à l’hôpital, elle m’a répondu que non ». Un autre fait déploré par le médecin de cette maternité reste la modification des habitudes alimentaires au sein de la population. A Selembao et d’autres communes de Kinshasa, selon le docteur Tony, la population préfère manger la viande et les produits importés plutôt que les légumes cultivés sur place. A ceci s’ajoute le fait que les produits importés sont moins chers que produits du terroir. Une situation qui ne manque pas d’impacter la santé des habitants de Selembao. En dehors des anémies, le docteur Tony souligne également le fort taux de paludisme. Sur 5 consultation effectuées, il n’est pas rare d’avoir trois cas de paludisme, même auprès des femmes enceintes.
A partir du moment où nous avons renforcé les capacités de notre partenaire congolais, il doit être en mesure de prendre la relève.
Inertie de la part des responsables de la santé
Dans cette maternité qui compte un médecin, quatre infirmiers et un laborantin, on ne pratique pas que des accouchements. Le Dr MAKIADI fait aussi d’autres types d’opérations comme celle des kystes ovariens, des appendicites et même des césariennes. Et pourtant aux « Collines de Selembao », tout est sommaire… de la salle de travail à la salle d’accouchement, en passant par l’accueil, ici on fonctionne avec de maigres moyens. L’énergie consommée est solaire. « Jusque-là nous avons neuf panneaux solaires mais deux d’entre eux fonctionnent à plein régime en attendant que l’on trouve les moyens techniques de faire fonctionner les sept autres », souligne Violette BATEKELA qui déplore également l’inertie du gouvernement congolais face à la maternité. «Je ne compte plus le nombre de fois où je suis allée au ministère provincial de la santé. Ils nous ont promis qu’on devait être affilié dans le compte de l’état. Jusque-là, rien n’a été fait et pourtant cela pourrait nous faciliter la vie. Si nous continuons à fonctionner, c’est par amour du métier », conclut-elle.
Un projet soutenu par Wallonie-Bruxelles International
« Les Collines de Selembao », en dehors de la passion de ses équipes, bénéficie de l’appui de Wallonie-Bruxelles International, comme l’explique Mr Austin EMEKA Dengba, Assistant Coopération et Partenariats Economique. « Le projet des Collines de selembao n’est pas un projet créé par WBI mais par Cecile Edungu », spécifie Mr Dengba. « Quand elle est venue nous demander un appui, étant donné que l’Aide à la Jeunesse, à la Femme et à la personne vulnérable fait partie des lignes directrices et d’intervention de la COCOF, nous avons jugé que sa demande n’était pas incompatible avec nos axes prioritaires d’intervention. Depuis 2013, nous finançons ce projet dans le cadre de notre programme de coopération bilatérale indirecte. Mais ce qu’il faut savoir c’est que la coopération n’est pas éternelle », assène Mr Dengba. « A partir du moment où nous avons renforcé les capacités de notre partenaire congolais, il doit être en mesure de prendre la relève. Quand nous entamons un projet, normalement à un moment donné soit le gouvernement ou le ministère de la santé doivent être en mesure de continuer parce que nous ne prévoyons pas de subventionner éternellement un projet », conclut-il.
Malheureusement, de nombreux projets en RDC n’arrivent jamais à terme quand la coopération touche à sa fin… De nombreux projets stagnent et finissent par s’asphyxier. Il n’y a plus qu’à espérer que « Les collines de Selembao » soit un projet viable au-delà de l’appui des différents bailleurs.